Le 31 mars 2023

LE SCANDALE DES PRÊTS EN FRANCS SUISSES

Interview de Maître Vincent DURAND

Avocat associé du cabinet ACTIVE AVOCATS – Lyon & Ferney-Voltaire

 

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consistent les prêts en devises et quels sont les risques pour les emprunteurs ?

Les prêts en devises sont des emprunts consentis par des établissements bancaires français à des résidents français sur la base d’un capital versé en Euros et remboursé en Francs Suisses. Concrètement, la contrevaleur du montant emprunté en Euros est fixée au jour de la souscription du contrat de prêt. Les échéances sont versées en Francs Suisses jusqu’au complet remboursement de l’emprunt, tel que déterminé par la contre-valeur. 

Les risques résultent justement de ce mécanisme de contre-valeur. L’emprunteur subit directement les variations des cours des devises : la dévaluation de l’Euro face au Franc Suisse au cours des années 2010 a entraîné pour de nombreux emprunteurs une augmentation du coût de l’emprunt. Ainsi, si 1 Euro représentait 1,64 Francs Suisses en 2007, il représente à ce jour moins d’1 Franc Suisse. 

En 2007, les établissements bancaires qui se sont lancés dans les prêts en devises avaient déjà connaissance du contexte économique particulièrement instable et des risques relatifs à la variation du Franc Suisse… 

 

Comment les emprunteurs  ont-ils été affectés par cette affaire ?

Certaines banques ont incité les consommateurs à souscrire à ces emprunts à risque. L’argument avancé était le suivant : le franc suisse est une valeur sûre et stable ; les taux d’intérêts sont plus faibles.

En réalité, les banques n’ont pas anticipé l’appréciation de la devise helvétique ; or, cette opération a pour effet de faire supporter le risque relatif à la variation des cours de change de manière automatique sur les emprunteurs. La contre-valeur, en Euros, des échéances en Francs Suisses, augmente de manière significative depuis 2007. A titre d’exemple, les clients ayant emprunté 200.000 euros en 2007 se trouvent avec la même somme à rembourser 16 ans plus tard alors qu’ils ont payé les mensualités de l’emprunt pendant toutes ces années.

 

Comment votre cabinet aide-t-il les clients qui ont souscrit à ces prêts ?

Notre cabinet accompagne les emprunteurs ayant souscrit ces emprunts à risque en procédant au préalable à l’étude de leur dossier : analyse des informations transmises par la banque, clarté des dispositions contractuelles, estimation du préjudice subi du fait de la dévaluation de l’euro, … 

Nous prenons attache avec l’établissement bancaire en cause pour négocier et, en cas d’échec des négociations, nous saisissons les juridictions compétentes pour obtenir la condamnation des banques à rembourser les sommes versées au-delà du capital emprunté. 

 

Les Tribunaux tranchent-ils de la même manière les emprunts souscrits par des consommateurs frontaliers ?

Non, effectivement. A ce jour, plusieurs décisions défavorables ont été rendues à l’encontre des frontaliers emprunteurs sous les considérations suivantes :

  • l’emprunteur frontalier est un emprunteur averti, les dispositions contractuelles seraient alors considérées comme claires et compréhensibles. De ce fait, elles ne peuvent relever des clauses dite abusives ;
  • le remboursement de l’emprunt en devise Franc Suisse serait adaptée à leur situation financière puisqu’il s’agit de la devise dans laquelle ils perçoivent leur revenu. 

Les juridictions opèrent donc une distinction entre deux catégories de consommateurs, ce qui juridiquement est assez étonnant : d’un côté, les emprunteurs ne travaillant pas en Suisse pour lesquels la notion de clause abusive est reconnue et d’un autre côté, les emprunteurs travaillant en Suisse qui voient leur demande rejetée.

 

Les frontaliers peuvent-ils espérer obtenir un remboursement de leur prêt ? Si oui, dans quelles conditions ?

A notre sens, l’appréciation des juridictions est contestable sur ces deux points : 

  • sur la clarté et la compréhensibilité des clauses de contre-valeur : dans le cadre des prêts en devise, les informations transmises par le professionnel et plus généralement l’exécution de l’obligation de transparence sont appréciées sur la base d’un consommateur “moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé”. Nous considérons que dans ces circonstances la qualité de frontalier travailleur suisse ne peut être prise en considération ;
  • sur le remboursement en devise : le fait que l’emprunteur perçoit sa rémunération en devise Franc Suisse ne le prémunit pas de la dévaluation de l’Euro, l’augmentation du coût du crédit est répercutée de manière automatique, sur ses revenus.

 

Comment évaluez-vous les chances de succès d’un recours judiciaire contre une banque dans le cadre d’un litige lié aux prêts en devises ?

A réception du dossier nous procédons à l’analyse :

  • des informations transmises quant aux risques caractérisés par les crédits en devise étrangère ;
  • des dispositions contractuelles, quant à leur clarté et compréhensibilité ;
  • du préjudice résultant de la dévaluation de l’Euro.

Auteur : Vincent DURAND