Prêt en francs suisses : suis-je concerné si je suis frontalier ?
Pendant de nombreuses années, les travailleurs frontaliers ayant souscrit un prêt immobilier en francs suisses se sont vu opposer une fin de non-recevoir lorsqu’ils tentaient d’agir contre leur banque.
La raison était simple, du moins en apparence : puisque leurs revenus étaient perçus en francs suisses, ils n’étaient pas exposés au risque de change.
Cette analyse a profondément évolué.
Par ses décisions du 9 juillet 2025, la Cour de cassation a opéré un revirement majeur, alignant pleinement le droit français sur les exigences européennes en matière de protection des consommateurs.
Désormais, le seul fait d’être frontalier ne suffit plus à exclure le risque de change.
La position ancienne : une approche strictement formelle
Jusqu’en 2025, les juridictions françaises raisonnaient de manière figée.
Elles se plaçaient au jour de la signature du prêt et constataient que :
- le prêt était libellé en francs suisses,
- l’emprunteur percevait ses revenus en francs suisses,
- les remboursements s’effectuaient dans la même devise.
À partir de là, elles en déduisaient qu’il n’existait aucun risque de change, ce qui excluait toute protection au titre des clauses abusives.
Cette approche ignorait pourtant une réalité économique évidente : un prêt immobilier s’inscrit dans la durée, et la situation d’un emprunteur est susceptible d’évoluer.
Le revirement du 9 juillet 2025 : une approche réaliste et protectrice
La Cour de cassation a mis fin à cette lecture restrictive.
Désormais, le risque de change ne s’apprécie plus uniquement au moment de la conclusion du contrat, mais :
- sur toute la durée d’exécution du prêt,
- en tenant compte des évolutions raisonnablement prévisibles de la situation de l’emprunteur.
Autrement dit, le juge doit se demander si, compte tenu de sa qualité de travailleur frontalier, de sa domiciliation en France et de la localisation du bien financé, l’emprunteur pouvait être exposé, à un moment ou à un autre, à un risque de change.
La réponse est, dans de très nombreux cas, positive.
Pourquoi les frontaliers sont exposés au risque de change
Contrairement à ce que soutenaient les banques, le fait de percevoir des revenus en francs suisses n’élimine pas le risque de change. Il peut se manifester de plusieurs façons, parfois indépendamment de la volonté de l’emprunteur.
Une évolution possible de la situation professionnelle
Un frontalier peut :
- perdre son emploi en Suisse,
- quitter volontairement la zone frontalière pour toutes sortes de raisons,
- être licencié,
- partir à la retraite ou en préretraite,
- percevoir des allocations ou des revenus de remplacement en euros.
Dans ces hypothèses, le remboursement d’un prêt en francs suisses devient mécaniquement plus coûteux.
Un patrimoine et des dépenses majoritairement en euros
Même lorsqu’un frontalier travaille en Suisse, il vit généralement en France :
- le bien immobilier financé est situé en France,
- sa valeur est exprimée en euros,
- ses charges courantes sont en euros.
Il existe alors une corrélation structurelle entre la valeur du bien et le montant de la dette, indexée sur le cours EUR/CHF.
La réalisation du risque lors d’événements clés
Le risque de change se révèle souvent :
- lors de la vente du bien financé,
- lors d’un remboursement anticipé,
- ou au terme du prêt, notamment en cas de prêt in fine.
C’est à ce moment précis que la perte de change devient concrète et parfois considérable.
Ce que la jurisprudence exige désormais des banques
La Cour de cassation a rappelé que les banques doivent fournir aux emprunteurs une information claire, compréhensible et concrète, permettant de mesurer :
- le fonctionnement du mécanisme de change,
- les conséquences économiques d’une forte variation des devises,
- et ce sur toute la durée du prêt, pas uniquement à la signature.
Il ne suffit plus d’indiquer que le prêt est en francs suisses.
La banque doit avoir permis à l’emprunteur de comprendre ce que cela implique réellement, y compris en cas de changement de situation personnelle ou professionnelle.
Être frontalier ne signifie pas être automatiquement éligible
Il convient toutefois d’être très clair :
le revirement de 2025 n’ouvre pas un droit automatique à l’annulation de tous les prêts en francs suisses souscrits par des frontaliers.
La Cour de cassation a posé un cadre précis.
Si la banque démontre avoir délivré une information complète, documentée et explicite sur le risque de change, la clause pourra être jugée valable.
C’est pourquoi chaque situation doit faire l’objet d’une analyse individualisée, à partir des documents contractuels et du contexte propre à l’emprunteur.
L’importance d’une analyse préalable
Avant toute action, il est indispensable de :
- vérifier que le prêt entre dans le champ juridique concerné,
- analyser les clauses contractuelles,
- et apprécier la qualité de l’information effectivement délivrée par la banque.
Cette analyse ne peut être menée sérieusement qu’à partir d’un dossier structuré et d’éléments précis.
En conclusion
Les travailleurs frontaliers ne sont plus exclus, par principe, de la protection contre les clauses abusives dans les prêts en francs suisses.
La jurisprudence reconnaît désormais que le risque de change peut exister, même lorsque les revenus sont initialement perçus dans la devise du prêt.
Cette évolution ouvre des perspectives nouvelles, mais encadrées.
Seule une analyse rigoureuse permet de déterminer si une action est juridiquement fondée.
Auteur : Vincent DURAND
Vincent DURAND
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