Prêts en francs suisses : vers une reconnaissance accrue des droits des emprunteurs frontaliers
Depuis plus de dix ans, de nombreux emprunteurs ayant souscrit un prêt immobilier en francs suisses (CHF) se retrouvent en grande difficulté. À l’origine de ces situations : l’appréciation importante du franc suisse face à l’euro, qui a fait grimper le montant réel de leurs remboursements. Ces prêts, largement commercialisés auprès de travailleurs frontaliers, ont donné lieu à un contentieux massif dans toute la France.
L’année 2025 marque une avancée significative : plusieurs juridictions viennent de consacrer des principes protecteurs au profit de ces emprunteurs, mettant fin à certaines réticences jusque-là observées dans la jurisprudence française.
Le statut de travailleur frontalier ne prive plus de la protection offerte aux consommateurs
Jusqu’à récemment, les banques tentaient de justifier la validité des clauses de remboursement en devises étrangères en arguant que les emprunteurs frontaliers étaient informés des risques de change, du fait de leur profession ou de leur habitude de manipuler des devises. Cette argumentation est désormais rejetée.
La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) rappelle que le consommateur est défini objectivement comme une personne « normalement informée et raisonnablement attentive et avisée », et que ses connaissances personnelles ou professionnelles ne doivent pas être prises en compte dans l’appréciation du caractère clair et compréhensible d’une clause.
Dans cette lignée, la Cour d’appel de Lyon a jugé dans un arrêt du 27 mars 2025 qu’un travailleur frontalier n’est pas supposé maîtriser les mécanismes financiers complexes, et que le fait de percevoir son salaire en francs suisses n’est pas un argument valable pour priver un emprunteur de la protection contre les clauses abusives.
Le Tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse va dans le même sens, considérant que la qualité de consommateur est indépendante du lieu de travail ou de la devise de rémunération, et que la protection contre les clauses abusives s’applique pleinement.
Une exigence accrue de transparence sur les risques de change
Les banques ont l’obligation de fournir une information complète et personnalisée sur les risques liés aux prêts en devises étrangères. Il ne s’agit pas simplement de mentionner que le risque existe, mais d’expliquer concrètement, par des exemples chiffrés ou des simulations, l’impact que pourrait avoir une variation du taux de change sur le coût total du crédit.
La Cour d’appel de Lyon constate ainsi que certaines clauses se contentent d’évoquer très brièvement le risque de change, sans en expliquer les causes ni fournir d’illustration concrète permettant à un emprunteur moyen d’en comprendre la portée réelle. Surtout, la Cour d’appel de LYON a stigmatisé le comportement de la banque qui consiste à faire peser exclusivement sur l’emprunteur le risque de change, sans attirer suffisamment son attention sur ce risque.
En revanche, le Tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse reconnaît qu’un document de simulation remis avant la signature du contrat, contenant des exemples chiffrés clairs et lisibles, peut constituer une information suffisante, à condition qu’il soit effectivement remis en temps utile et signé par les parties.
Le contrôle du caractère abusif des clauses : un enjeu central
Au-delà de l’obligation d’information, les juridictions examinent de plus en plus rigoureusement le caractère abusif des clauses de remboursement en devise étrangère. Pour cela, elles évaluent si la clause crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Plusieurs éléments sont particulièrement scrutés :
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l’existence (ou non) d’un mécanisme de plafonnement du risque de change,
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la possibilité de reconversion du prêt sans pénalités,
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l’existence d’une contrepartie réelle, comme un taux d’intérêt plus avantageux.
Dans une décision du 17 avril 2025, le Tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse a ainsi annulé une clause de remboursement en euros d’un prêt indexé sur le franc suisse, en raison de l’absence de ces garanties. Ce jugement constitue une étape importante pour les nombreux emprunteurs qui attendent une reconnaissance de leur préjudice.
Une évolution encourageante, mais encore incomplète
Ces décisions marquent un progrès significatif pour les emprunteurs frontaliers, en reconnaissant enfin que leur situation ne justifie pas un traitement moins protecteur. Toutefois, la prudence reste de mise : toutes les juridictions françaises ne sont pas encore alignées sur cette interprétation. La Cour de cassation, saisie dans l’affaire opposant un couple d’emprunteurs à la CIC Lyonnaise de Banque, devra confirmer ou non cette nouvelle orientation jurisprudentielle.
Ce que cela signifie pour les emprunteurs concernés
Si vous avez souscrit un prêt en francs suisses, que vous soyez frontalier ou non, il est désormais possible de contester certaines clauses de votre contrat, en particulier celles relatives au remboursement en devise étrangère.
Il peut être pertinent de :
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faire analyser votre contrat de prêt par un avocat pour vérifier s’il existe une clause claire sur le risque du taux de change,
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vérifier si vous avez bien été informé de manière claire et personnalisée des risques de change,
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et si besoin, engager un recours pour faire valoir vos droits.
Notre cabinet accompagne les emprunteurs dans ce type de contentieux, afin d’évaluer la pertinence d’une action et de faire reconnaître leurs droits face aux établissements bancaires.
Contactez-nous pour un premier échange sur votre situation : https://www.active-avocats.com/vous-avez-souscrit-des-prets-en-francs-suisses/
Auteur : Vincent DURAND